L’ennui : source de bienfaits pour nos enfants

« Newton, sous son arbre, Archimède dans son bain (…), deux illustres personnages auxquels on doit respectivement la théorie de la gravité et le très connu théorème. (…) C’est en rêvassant que leurs sont venues leurs idées. » (Professeur Vérin, chef du service neurologie du CHU de Rennes)

Et oui, car quand on rêve, le cerveau carbure. Or, pour rêver, il ne faut rien faire et cela signifie souvent être passé par une phase d’ennui.

Prenons conscience que dans notre société, nous fuyons l’ennui. Nous même en tant qu’adulte, nous comblons souvent le vide (écrans, musique, activités, etc.)

Et nous culpabilisons d’autant plus quand nous voyons nos enfants s’ennuyer. Nous sommes friands de leur proposer toujours plus d’activités. Nous aimons que leurs mercredis et week-end soient bien occupés, ainsi que les vacances.

Nous sommes souvent aussi poussés inconsciemment par la société de consommation et la société du jeu qui nous proposent toujours de nouvelles activités pour nos enfants. Le regard des autres, le désir d’éveiller au maximum nos enfants, la peur qu’ils ne soient pas assez cultivés nous poussent à combler le vide.

Or, l’ennui est un incontournable. Sur le plan neuronal tout d’abord, mais aussi sur le plan de la construction de la personnalité.

En effet, le cerveau ne peut pas apprendre en permanence, au risque d’une surcharge mentale. Lorsqu’il est au repos, le cerveau baisse en pression et se projète dans d’autres dimensions. Des zones du cerveaux qui n’ont pas l’habitude de fonctionner ensemble vont alors se parler et des connexions vont se faire naturellement. D’autre part, l’hippocampe, zone sous-corticale permettant l’apprentissage, ne fonctionne pas correctement lorsque l’enfant est soumis au stress ou au surmenage.

Durant les activités non cognitives, on imagine, on se projète, on anticipe. Ce n’est pas du temps perdu.

Les temps de pauses cognitives, qui prennent souvent la forme de l’ennui chez les enfants ou chez les adultes, sont donc incontournables pour un bon développement neuronal.

De plus, on cherche souvent à combler l’ennui car il fait naître chez nous comme chez nos enfants des sentiments désagréables de tristesse, de frustration. Or, chercher à combler le vide pour éviter ces ressentis par une surenchère d’activités n’est qu’un leurre. En effet, les neuro-scientifiques expliquent clairement aujourd’hui que lorsque nos enfants sont bombardés de stimulis, ils s’y habituent et les doses doivent toujours être augmentées : les enfants s’ennuient toujours même quand il y a de plus en plus d’activités. Il s’agit d’un phénomène d’addiction. La société de consommation a bien compris cela !

Chez les adolescents, cette incapacité à faire face à l’ennui peut prendre des formes dangereuses d’addictions. En effet, l’ennui étant un manque, le jeune pourra chercher à le combler dans les écrans, la drogue, l’alcool. Le jeune qui n’a pas appris à gérer ses frustrations et à combler le vide en lui-même cherchera toujours plus de stimulations externes.

Au contraire, lorsqu’on laisse à notre enfant le temps de s’ennuyer, il apprend lui-même à gérer ses frustrations. Il apprend ainsi à accepter l’ennuyeux, le frustrant et le déplaisant. Cela ne peut que le rendre plus fort et lui donner le goût de l’effort. Il est à noter que dans toute pédagogie comme dans tout apprentissage, il est incontournable de passer par des moments d’ennui, d’effort, de déplaisant. Les musiciens ne peuvent pas négliger le solfège, les sportifs l’entraînement. Un enfant doué en mathématiques ne peut pas se passer des lettres, comme un enfant plus avantagé en français aura besoin dans sa vie des sciences et des mathématiques.

L’exigence que l’on aura pour notre enfant et l’apprentissage de la frustration ne s’opposent pas à une éducation bienveillante, bien au contraire. Tout est question de mesure.

Sur le plan de la construction de la personnalité, l’ennui a aussi un rôle essentiel. Nous l’avons dit, durant ces temps de solitude, l’enfant ressent dans un premier temps de l’ennui mais son cerveau va très vite entrer dans une phase de créativité. Ainsi, l’adulte va pouvoir observer l’enfant et se rendre compte de ses propres centres d’intérêt. Nous avons souvent tendance à pousser notre enfant dans la direction vers laquelle nous aimerions qu’il aille.

Or, il existe une grande variété d’intelligences. Vers quoi s’oriente naturellement l’enfant qui a des temps libres ? Sport, réalisation de maquettes, de collections, musique, dessin… Des centres d’intérêts voire des passions peuvent ainsi se développer.

D’autre part, et on retrouve ici un grand pilier de la pédagogie Montessori, l’enfant apprend mieux par l’expérience. Les temps totalement libres vont pousser l’enfant à l’observation, la manipulation.

Il y a également un lien de corrélation étroit entre l’ennui et l’autonomie car les enfants cherchent seuls des réponses à leurs questionnements et des solutions à leurs problèmes. Ils développent ainsi leurs ressources internes.

L’enfant qui s’ennuie va aussi entrer dans un espace de liberté, qui n’est pas contrôlé par ses parents : « il apprivoise sa solitude, ce qui renforce sa confiance en lui ». « Savoir qu’il peut voguer dans un autre monde, celui de l’imaginaire, permet au petit de ressentir une forme de liberté et d’autonomie qui le libère de sa dépendance à l’adulte ». (Etty Buzyn, psychanalyste)

Comme souvent, tout est une question de mesure et il est évident qu’un enfant ne doit pas s’enfermer dans le mutisme, un ennui permanent étant une forme de dépression, ni tomber dans l’oisiveté. Mais il est essentiel de « laisser rêver nos enfants, c’est là qu’ils seront inventifs ! » (Pr. Verin)

Sylvie d’Esclaibes

Sources :

Emission de France inter

https://www.franceinter.fr/emissions/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-01-mai-2019

« Les vertus de l’ennui, notamment d’un point de vue cérébral », avec l’auteur conférencier et consultant en neurosciences Erwan Deveze, Patrick Lemoine, psychiatre, docteur en neurosciences

Papa, maman, laissez-moi le temps de rêver ! Etty Buzyn, psychanalyste

Article du Professeur Verin : « laissez votre enfant s’ennuyer et rêver »

https://www.chu-rennes.fr/actualites-23/neurosciences-laissez-votre-enfant-sennuyer-et-rever-entretien-avec-le-pr-marc-verin-1004.html?cHash=3fd73b4fa97b02dca8c0a34e49fceec8

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