Vous pourrez lire ci-dessous une chronique du journal “Les Echos” du 12 novembre 2013 traitant encore une fois du dysfonctionnement du système éducatif français à tous les niveaux.
Chronique des “Echos” (12 novembre 2013)
de Jean-Marc Vittori
Les performances de la France sont les plus médiocres là où se prépare l’avenir : dans l’éducation. Il est urgent de songer à rendre l’école plus efficace. Des éclairages venus de l’étranger peuvent être utiles.
Bien sûr, il y a la montée du chômage et des impôts, l’érosion du pouvoir d’achat et une grave pénurie de logements. Mais l’urgence des urgences est-elle vraiment ici ? Quand les marges de manoeuvre budgétaire se réduisent pour augmenter les recettes comme pour diminuer les dépenses, comme l’affirme l’agence de notation Standard & Poor’s , il devient vital de hiérarchiser les priorités. Et la vraie priorité de la France est, ou devrait être, l’éducation. D’abord parce que c’est là que se prépare l’avenir, surtout dans une économie de l’information plus gourmande en compétences humaines que la bonne vieille société industrielle. Ensuite parce que le pays prend un retard qui se creuse de jour en jour. Si Standard & Poor’s loue une main- d’oeuvre « qualifiée et instruite », les résultats d’une étude menée dans plusieurs dizaines de pays, à paraître le mois prochain, risquent d’être catastrophiques pour la France, comme l’a laissé entendre le ministre Vincent Peillon (il s’agit de la fameuse enquête PISA, pilotée par l’OCDE). Un autre travail du club des pays avancés montre que, sur onze dimensions du bien-être, c’est sur l’éducation que la France est la plus mal classée . Elle s’en sort bien mieux sur le logement, le pouvoir d’achat (le revenu disponible des ménages a augmenté ces dernières années alors qu’il a souvent reculé ailleurs), la santé ou l’environnement.
L’éducation, c’est bien sûr de l’argent. De la maternelle à l’université, l’Etat y consacrera l’an prochain 60 milliards d’euros, avec 10.000 emplois supplémentaires. Son premier poste de dépenses, loin devant la dette (47 milliards) et la défense (30 milliards). Il pourrait bien sûr faire plus, comme le réclament les lobbies professionnels, avec parfois de vraies raisons… sauf que l’argent manque. Il devrait surtout faire mieux. Ici, on n’entend plus personne. Si le pays s’emplit de clameurs à propos d’une demi-journée de travail supplémentaire à l’école par semaine, un silence assourdissant règne sur l’efficacité du système. Comme si elle relevait de l’impensé, voire de l’impensable. Il faut aller à l’étranger pour trouver des éclairages sur la question. En voici trois parmi beaucoup d’autres.
– Première leçon : oui, une université tourne mieux quand elle est bien dirigée. N’importe quel parent d’élève dans une école primaire sait pourtant que la personnalité du directeur joue un rôle majeur. Trois chercheurs de l’université anglaise de Bristol, John McCormack, Carol Propper et Sarah Smith , révèlent qu’il en va de même dans les universités britanniques et leurs départements : le management y est crucial, même s’il passe souvent pour une activité inutile car les enseignants sont réputés n’en faire qu’à leur tête. Le trio de chercheurs a d’abord bâti un indice de la qualité des pratiques managériales (suivi des performances des enseignants et du département dans son ensemble, fixation d’objectifs globaux de long terme, système d’incitations pour encourager les progrès…). Il a ensuite comparé cet indice avec trois mesures de la performance des universités (qualité de la recherche, satisfaction des étudiants, classements des universités). Il conclut que « de meilleurs scores en management sont associés à une meilleure performance à la fois sur la recherche et l’enseignement ».
– Deuxième leçon, qui va faire frémir : quand ils ont un emploi à vie, les professeurs d’université travaillent moins bien. David Figlio, Morton Shapiro et Kevin Soter , de l’université américaine de Northwestern, ont comparé l’efficacité d’enseignants ayant ou non la « tenure » (qui correspond, après six ans en poste, à une titularisation qui n’a rien d’automatique). Ils ont examiné les résultats de 16.000 étudiants passés par leur université : ceux qui ont eu en première année dans une matière un professeur n’ayant pas la tenure (et donc incité à bien enseigner pour l’obtenir) ont eu de bien meilleures notes les années suivantes dans la même matière. L’écart est encore plus fort quand les étudiants avaient un niveau initial faible. Shapiro, qui préside l’université, a dû se faire des amis avec cette étude qui justifie au passage que la proportion de professeurs ayant la tenure dans les universités américaines soit passée en trente-cinq ans de 57 % à 30 %.
– Troisième leçon, qui concerne cette fois-ci les écoles primaires : la carotte et le bâton incitent les instituteurs américains à mieux travailler. Thomas Dee, de l’université de Stanford, et James Wyckoff, de l’université de Virginie, ont scruté l’effet du très controversé système Impact, mis en place dans les écoles publiques de Washington. Ce système ausculte les performances des enseignants en intégrant leurs méthodes de travail, les résultats de leurs élèves et leur implication dans la communauté (tâches collectives à l’école, relations avec les parents). Les enseignants très mal notés risquent l’éjection. Les bien notés reçoivent de fortes primes. Dee et Wyckoff montrent que les enseignants mal notés quittent l’école d’eux-mêmes ou au contraire améliorent sensiblement leur note. Ceux qui touchent des primes, eux, travaillent encore mieux après.
Il serait sans doute périlleux de supprimer d’un coup l’emploi à vie pour les professeurs français d’université, ou d’évaluer brutalement et systématiquement l’efficacité de leurs collègues des écoles. Les mesures de performance sont souvent contestables. Ce n’est pas une raison pour les éliminer d’emblée, comme on le fait trop souvent aujour- d’hui dans le système éducatif français. Notre pays ne pourra pas faire l’économie d’une éducation qui éduque mieux.
Jean-Marc Vittori