Un bel article dans Le Point.fr au sujet de mon livre “Montessori au collège”
J’ai été interviewée par Louise Cuneo, journalise à Le Point.fr sur le contenu de mon livre “Montessori au collège“.

Éducation : “À l’adolescence, la méthode Montessori peut faire des miracles”
Les préceptes de Maria Montessori ne sont pas exclusivement bénéfiques aux petites classes : Sylvie d’Esclaibes décrit leurs bienfaits pour les collégiens.
PROPOS RECUEILLIS PAR LOUISE CUNEO

Sylvie d’Esclaibes est à la fois enseignante en primaire, dans une classe multiniveau du CP à la 6e, et directrice d’établissements Montessori, elle encadre également la formation de mille enseignants chaque année, dont de nombreux officient dans le public. Elle a ouvert il y a une vingtaine d’années le premier collège Montessori de France. Chez elle, cette pédagogie est une histoire de famille : après avoir fait suivre une scolarité Montessori à ses cinq enfants, elle a vu deux d’entre eux ouvrir des écoles et des collèges Montessori. Sylvie d’Esclaibes a également accompagné l’ouverture de nombreuses autres écoles et est l’auteur de plusieurs ouvrages dédiés à la pédagogie Montessori, dont le dernier, Montessori au collège, vient de sortir (Balland, 198 pages, 17 euros).
Le Point : Quels piliers de l’éducation de Maria Montessori peut-on appliquer au collège ?
Sylvie d’Esclaibes : Ce sont les mêmes que ceux des classes d’élèves plus jeunes : le développement de l’autonomie et de la confiance en soi, la créativité et le respect des autres, qui apporte aussi de la liberté. Dans notre collège, il n’y a ni punition ni colles : il est essentiel de respecter les plus petits, les différences…
Peut-on entrer dans un collège Montessori si on n’a pas suivi le début de sa scolarité dans un établissement suivant la même pédagogie ?
Pour l’élève, ce sera certes plus facile s’il a commencé tôt, en particulier avant six ans. Mais il n’est jamais trop tard pour commencer ! Nous accueillons même chaque année dans l’unique lycée Montessori de France des élèves directement en terminale, qui s’adaptent très bien à cette pédagogie. Mais bien souvent, c’est le mouvement inverse qui s’opère : les élèves quittent davantage ce système qu’ils n’y restent. Et pour cause : il y a très peu de collèges Montessori en France ; ils se comptent sur les doigts d’une main. Nombreux sont les élèves qui délaissent cette pédagogie à la fin du primaire, voire à la fin de la maternelle, car les écoles élémentaires ne sont pas si nombreuses. La faute au manque de formation, essentiellement. C’est fort dommage, car, à l’adolescence, la méthode Montessori peut faire des miracles…
Mais n’est-ce pas justement difficile d’adapter les préceptes de Maria Montessori avec des collégiens, à un âge où s’opposer à son entourage est souvent un mode de vie ?
C’est sûr qu’il est plus difficile de mettre en place une pédagogie individuelle et de valoriser chacun au collège qu’au primaire. Pour communiquer avec eux, on prend davantage des postures de coach. Même si l’époque a changé, Maria Montessori avait déjà parlé du collège dans ses écrits. Je les ai adaptés à la société d’aujourd’hui. Par exemple, on mélange encore les âges, en instaurant des classes de 22 ou 23 élèves en double niveau, 6e/5e et 4e/3e. On préserve ainsi le principe selon lequel les plus experts expliquent aux plus novices. Nous mettons également en place des plans de travail individualisés, pour que chacun avance à son rythme dans son planning, et organise en toute autonomie son travail et ses devoirs.
Les méthodes sont-elles donc identiques au collège et en primaire ?
Au collège, nous organisons davantage d’activités de groupe, et nous montons des projets (de l’humanitaire, par exemple) pour les préparer aux études supérieures et à la vie en société. Ils suivent aussi des cours de philosophie, pour arriver à prendre du recul, à réfléchir sur eux-mêmes et à mieux se comprendre.
Pour Maria Montessori, la manipulation est essentielle pour la compréhension. Quel matériel concret utilise-t-on au collège ?
En français, pour une analyse grammaticale, on utilise des symboles et le tri de mots dans des boîtes. Après avoir manipulé, l’élève s’autocorrige lui-même, de manière à ce que le professeur ne soit pas censeur et que l’élève reste dans une démarche autonome. En mathématiques, on explique le théorème de Pythagoreavec des carrés métalliques, ou les identités remarquables avec des petits carrés de couleur. Pour que les élèves comprennent ce qu’est le chiffre Pi, on leur fait tracer puis mesurer plusieurs cercles, jusqu’à ce qu’ils comprennent que le périmètre des cercles est toujours égal à un peu plus de trois fois leur diamètre.
Et c’est possible pour toutes les matières ?
Bien sûr ! En géographie, par exemple, les élèves disposent de cartes préparées à l’avance, sur lesquelles sont plantés de petits drapeaux portant le nom des fleuves, des mers, des montagnes… À eux de les remettre ensuite sur une carte vierge. Et de s’autocorriger…
Suivez-vous ainsi les programmes de l’Éducation nationale ?
Nous sommes un établissement hors contrat avec l’État, car notre approche éducative est différente. En revanche, nous suivons les programmes de l’Éducation nationale, car il n’est pas question de marginaliser nos élèves, ni de leur fermer des portes ! Comme dans un collège traditionnel, nos élèves ont des emplois du temps, des professeurs spécifiques pour chaque discipline, des conseils de classe, des bulletins, et même des notes, même si elles ne sont consultables que sur un serveur accessible aux parents. La répartition du nombre d’heures de cours par matière est identique, sauf en langues (l’anglais est plus intensif) et dans les disciplines artistiques. Développer la créativité, c’est essentiel à la réussite de chacun. Tout le monde a une qualité ou un domaine dans lequel il peut briller !
Quels résultats obtiennent vos élèves par rapport à ceux d’autres établissements ?
Ils sont dans la moyenne. L’an dernier, sur 18 élèves de terminale, 17 ont eu le baccalauréat. Mais surtout, à leur sortie du lycée, ces jeunes réussissent le plus souvent ce qu’ils entreprennent, car ils ont compris ce qu’ils voulaient et ils savent travailler.
Quels sont les profils de vos collégiens ?
Nous avons à la fois des élèves qui ont suivi depuis tout petits la pédagogie Montessori, mais aussi des enfants qui arrivent en 6e car ils ne s’épanouissent pas dans le système classique. Nous avons aussi des précoces, d’autres qui ont peur du collège, d’autres qui veulent miser sur l’apprentissage des langues. Certains arrivent également après avoir rencontré des difficultés dans le système traditionnel : des phobies scolaires, des cas d’anorexie aussi, des élèves hospitalisés… C’est un défi, mais avec l’assentiment des parents et leur soutien, on y arrive.
Vous ne refusez personne ?
On ne peut pas prendre tout le monde, car nous avons trop de demandes. Nous ne pouvons pas accepter les élèves qui ont des problèmes de comportement, ceux qui s’expriment avec violence, ceux qui ne travaillent pas du tout, car nous n’avons pas de système de punition. Nous ne choisissons pas nos élèves sur la base de leurs notes, mais sur leurs appréciations. Et nous leur proposons une journée d’essai.
Quel est le principal reproche que vous feriez à l’égard du système classique ?
Le goût d’apprendre y disparaît, tout comme la confiance en soi et l’autonomie. De nombreux élèves de collèges « classiques » attendent qu’on leur dise de sortir leurs cahiers, ne prennent aucune initiative. Leur enthousiasme d’enfant a disparu : quel dommage, c’est justement ce qui rend la vie plus belle !