Immersion dans le modèle éducatif Montessori
Au-delà de ma carrière d’Avocat d’affaires, de professeur d’Art Oratoire, de consultante et de mère de famille nombreuse, je me suis toujours passionnée pour les dynamiques qui permettaient aux sociétés de se renouveler, de se réinventer. J’ai ainsi passé plusieurs mois à travailler, réfléchir, investiguer, me documenter sur les domaines où le renouvellement sociétal pouvait et devait prendre corps. Plusieurs thématiques sont à l’étude et je continue mon approche de chercheur. Néanmoins l’éducation, la transmission des savoirs, la manière dont nous, adultes, donnons à nos enfants et à ceux qui nous sont confié, la capacité à construire leurs connaissances, leur savoir, leur pensée, leur raisonnement et au-delà leur identité, m’a plus que les autres sujets abordés, interpellée par son urgence à y voir mettre en œuvre des solutions nouvelles et innovantes.
Dans ce cadre, j’ai eu la chance de pouvoir m’immerger dans l’établissement Montessori de Sylvie d’Esclaibes (Ecole Athéna Montessori internationale) au sein duquel j’ai pu, durant deux jours, observer la vie de classe telle qu’elle y est pratiquée, participer à ses activités, observer, être accueillie dans des classes de lycée, collège et dans les niveaux élémentaires. Il y aura beaucoup à raconter sur cette expérience objective et je le ferai. On apprend beaucoup à rencontrer ces personnes qui investissent l’éducation des enfants et des jeunes sur un mode différent, renouvelé et en même temps profondément académique, contrairement à ce que l’on imagine parfois. Car Sylvie, tout en s’appuyant sur une expérience de plus de vingt ans dans l’enseignement et les pédagogies dites alternatives, continue avec ses équipes à chercher le renouvellement et la réinvention de leurs modes de transmission. Je pourrai faire un tableau à la Prévert, mais au-delà, tous ont en commun une dominante : la passion de leur métier et le dévouement aux enfants qui leur sont confiés. J’y ai rencontré un professeur d’histoire, auteur de livres pour enfants, qui ré-enchante la narration de l’Histoire de France et du monde en mettant en scène dans ses livres des Playmobil. Petits personnages en costume d’époque qui accompagnent l’enfant dans la représentation des grands évènements passés. Une professeur de lettres modernes et de philosophie, enthousiaste et passionnante, qui réinvente la transmission du savoir en allant chercher en chacun le talent, parfois caché, qui lui permettra de participer au partage de la culture littéraire. Une enseignante de primaire, attentive à chacun et exigeante, qui accompagne les plus jeunes sur le chemin de l’autonomie et de la découverte des savoirs, s’appuyant sur sa longue carrière d’enseignante expérimentée et de conteuse. Un professeur de mathématiques impliqué et réfléchi, cherchant pour ses élèves les meilleurs moyens de faire émerger la compréhension des mathématiques dans une approche constructive.
Ce qui est important est qu’au fil des heures qui s’écoulaient, je n’ai pas vu le temps passer, pas plus que les élèves manifestement, qui tous, quels que soient leur profil, aussi divers qu’il est possible de l’imaginer, semblaient avoir trouvé leur place pour interagir dans cette communauté éducative et être en mesure de s’adapter à tous changement ou évolution, éventuellement à venir, sans que cela ne génère de difficultés. J’ai vu des grands venir spontanément en aide à des plus petits. Des adolescents bienveillants face au handicap qu’il soit physique ou mental (autisme) permettant l’inclusion d’élèves qui ne trouverait pas leur place ailleurs car trop différent pour la norme éducative habituelle. J’ai aimé les cours auxquels j’ai participé. J’ai apprécié l’approche de transmission, telle qu’elle était pratiquée, faisant appel à toutes les ressources possibles et mettant en mouvement chaque élève en fonction de son talent, de son appétence, de ses capacités dans l’intérêt du bien commun.
J’ai vu ressurgir en moi des connaissances que je croyais avoir oubliées et cela m’a fait sourire car sans doute, l’idée maîtresse de cette immersion, est que l’on se sent bien dans cet environnement et que lorsque l’on se sent bien, on apprend bien.
J’aurai beaucoup à dire et à raconter et sans doute que je le ferai, mais aujourd’hui j’ai décidé de vous faire plonger dans une des spécificités de l’école, son heure de Philo-méditation.
Quand on pose les mots sur le papier, cela donne de prime abord une petite connotation « parisianiste », pardon pour le néologisme, mais c’est bien l’idée. C’est un argument vendeur sur une plaquette de proposer ce que tous les ouvrages de développement personnel vantent à grand renforts de pub à notre société anxiogène et stressée. D’où l’intérêt de cette plongée en observateur objectif qui permet de se mettre au niveau du vécu des enfants et non juste du côté de l’idée, bonne au demeurant.
Et c’est là que l’aventure commence…
Des élèves petits et plus grands, en moyenne des 6/10 ans, s’égrènent dans la cour de récréation qui sépare le lieu de classe de la salle qui accueille, un peu à l’écart, les activités qui requièrent calme et silence. Nul chahut ni bousculade pour s’y rendre, et pourtant ils ne sont pas en rang, ni contrôlés. Chacun porte un tapis de sol, voire deux dans certains cas, car quelques élèves ont des difficultés motrices. Il y a un escalier à gravir pour rejoindre la salle, une des petites filles semble paralysée d’un bras et n’utilise l’une de ses jambes qu’avec difficulté et lenteur. Une des élèves l’attend patiemment et accompagne sa progression sans regard apitoyé, ni aide superfétatoire. Elle est juste à ses côtés pour qu’à son rythme, elle arrive au même endroit que les autres et qu’elle ne le fasse pas en étant isolée. Personne n’a demandé à la seconde petite fille cette approche bienveillante, cela semble spontané et naturel. Ça l’est en fait. Le groupe d’enfants s’est reformé à l’étage où les ont rejoints l’enseignant en charge de cette activité et Sylvie. Il est coach professionnel, sophrologue et travaille auprès des enfants dans une approche à la fois dynamique, empathique et ouverte.
Sylvie d’Esclaibes prend part à l’activité et s’est assise comme les enfants et l’intervenant dans le cercle propre à la pédagogie Montessori, où chacun peut trouver sa place et s’installer dans une interaction positive et constructive. Il n’y a pas d’agitation, ni de rires moqueurs comme cela arrive parfois lorsque l’on propose aux enfants une activité différente et qui sort du cadre habituel. Manifestement personne n’est étonné par cette approche, ni par le fait de devoir respecter les règles qui sont liées au bon fonctionnement et qui sont rappelées au début de la session. L’intervenant effectivement reprend la thématique du jour, ce sera « les émotions » qui fait suite à une réflexion sur « qui suis-je ? », « les cinq sens ? » et « qu’est-ce que le bonheur » lors des séances précédentes. Les règles de fonctionnement et le déroulé de l’activité sont également reprises. Les enfants écoutent, sont attentifs et manifestement intéressés.
Ma posture volontairement à l’écart du cercle et sur une chaise alors que chacun est sans chaussures, assis par terre sur la courbe tracée au sol, me semble finalement presque inconfortable. Je me surprends, alors que je suis effectivement là pour observer, à me dire que je les rejoindrais bien volontiers pour expérimenter avec eux ce temps de pause et d’introspection collective.
Mais déjà, l’activité commence. Plusieurs mouvements sont proposés par l’intervenant afin de permettre de libérer les tensions que chacun peut ressentir. Il y a dans le groupe, je l’ai compris, des petits qui ont vécu des situations compliquées, des deuils, des difficultés familiales, des problèmes scolaires, des pertes de confiance. Il y a aussi des enfants précoces, des enfants bien dans leur âge et sans souci aucun. Mais tous ont besoin de déposer un peu le poids des petits ou gros tracas qu’ils peuvent porter ou dont ils se chargent parfois inconsciemment. Cette première série d’exercices qui allie respiration, mouvements contrôlés et reproduits est accompagnée pour certains enchainements d’un cri libératoire qui explose sur le mur. A chaque mini-série d’exercices, Sylvie et l’éducateur en charge de l’activité sollicitent les élèves pour savoir ce qu’ils ont ressenti durant le mouvement. Chacun est libre de s’exprimer ou pas, mais ceux qui restent, le cas échéant, en retrait, finissent par parler sous le regard bienveillant du groupe. « Ça libère », « ça fait un peu mal aux bras », « ça secoue la tête ». Une fois le trop plein déversé et régulé par le biais des exercices de respiration contrôlée, chacun prend ancrage dans la méditation. Le principe de l’exercice est rappelé, le mode de fonctionnement aussi, il s’agit d’une méditation guidée par la voix fondée sur la pleine conscience de sa respiration. Le superbe bol tibétain dont s’est muni l’intervenant fait entendre un son à la fois profond et cristallin qui emplit délicatement la pièce et le groupe. Yeux clos, dos droit, mains posées et en tailleur, les petits s’engagent dans un moment de sérénité et d’apaisement. La voix s’élève par intermittence, douce, apaisante, volontairement monocorde et accompagne les enfants dans la concentration sur l’instant et le souffle qui les anime.
Je suis moi-même involontairement emportée par le moment. Je ferme les yeux à mon tour depuis ma chaise et suis la voix qui nous guide. Le gong retentit peu de temps après et chacun rouvre les yeux, un peu groggy, un peu ailleurs, comme s’éveillant d’un moment puissant et hors du temps. Là encore, Sylvie questionne et relance les enfants sur leurs sensations, leurs ressentis, la manière dont ils ont vécu ce qui vient de se passer. Les réponses se font : logiques, cohérentes, amusantes et chacun se retrouve à parler, finalement sans trop s’en apercevoir, de la thématique du jour : les émotions.
C’est bien ainsi qu’est construite la séance, selon un déroulé préparé minutieusement dont j’ai pu entrevoir la planification sur la feuille de l’intervenant. Tout semble naturel et spontané et ça l’est d’une certaine manière, mais c’est aussi extrêmement bien préparé et donc forcément très efficace.
Les enfants abordent maintenant la dernière partie d l’activité, à savoir s’interroger eux-mêmes et évoquer ce que représentent les émotions pour eux, comment ils les perçoivent, comment ils les ressentent, si elles leur font du bien ou du mal. L’intervenant lance l’échange par quelques questionnements simples suffisant pour faciliter les réponses immédiates. Peu à peu, les réponses se développent, sont reprises et permettent d’aller très loin en chacun de ces apprentis philosophes, jusqu’à chercher ce qui donne du sens à leur toute jeune vie. Comment les émotions les définissent, les façonnent parfois, les annihilent ou les entravent de temps en temps. Comment les émotions sont parfois le reflet visible d’eux-mêmes la plupart du temps.
Je ne reprendrais pas tous les échanges et les jolies phrases qui ont fusé durant cette séance, car il y en a tant que je pourrai remplir la page tout en entier. Et puis, il y a quand on aborde ce type d’observation, l’idée que l’on est dedans ou dehors. Mon choix cette fois ci était d’être dehors et je ne m’autorise pas à reprendre ce qui a été confié dans le cadre du cercle. Beaucoup de justesse, beaucoup de profondeur, beaucoup de poésie dans ce que j’ai entendu. Beaucoup d’empathie, beaucoup de douceur, beaucoup d’accueil de la parole sans jugement de la part des enseignants. La séance s’achève sur une reformulation bienveillante des différentes expressions entendues par le groupe que chacun emporte avec lui comme un très joli moment que j’aurai été égoïste de conserver par devers moi.
Je vous laisse donc avec une phrase comme une fleur que l’on pose sur la page avant de se quitter, phrase que j’emprunte à un des petits écoliers : « Il ne faut pas penser le bonheur, ni le forcer, il faut laisser les choses venir à nous quand c’est le moment et ne pas laisser nos émotions mourir à l’intérieur de nous ».
Sandrine Simon de Bessac